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“Roman(s) national” ou la V° République hantée par ses fantômes

©Simon-Gosselin

Pour leur nouvelle création, retardée d’un an en raison de la pandémie, Julie Bertin et Jade Huberlot, autrices et metteurs en scène du collectif Le Birgit Ensemble qui avaient fait fureur à Avignon avec « Dans les ruines d’Athènes », se penchent aujourd’hui sur l’état de notre V° République avec son président puissant, les mécanismes du pouvoir et la force des discours. Dans un avenir proche, une élection se prépare et on s’agite comme des abeilles sur le miel. Mais toute ressemblance avec des situations réelles ne saurait être que pure coïncidence.

L’homme providentiel

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Nous sommes après la « Grande Catastrophe » qui a jeté sur les routes des milliers de réfugiés climatiques. Le président de la République vient de mourir et c’est un jeune médaillé d’escrime, Paul Chazelle, maire de Châteauroux et membre du parti Horizon – l’ancien Premier Ministre Edouard Philippe a baptisé son nouveau parti du même nom !- qui est élu face à la candidate d’extrême gauche qui réunit une opposition au libéralisme et prône un sursaut écologique. Le spectacle débute avant l’élection présidentielle et nous renvoie un écho sensible de notre actualité. Nous sommes dans le QG de campagne de Paul Chazelle, qui a choisi le Musée de l’Homme pour y installer son équipe. L’ambiance est électrique, les cerveaux bouillonnent et les informations fusent à toute allure, souvent démenties en un tweet. C’est Moïra, l’instance religieuse grecque qui représente le destin de chacun, incarnée dans le spectacle par une journaliste spécialisée en histoire (Anna Fournier) qui joue le rôle de la narratrice en s’adressant directement aux spectateurs pour commenter les différentes scènes. 

La guerre des discours

©Simon-Gosselin

Ava Breban, leader du parti Horizon, incarnée avec un magnétisme glaçant par Eléonore Arnaud, Frédérique Side-Dumas la conseillère littéraire qui écrit les discours, jouée par Pauline Deshons, Solal Gauthier, l’ami conseiller cassant et sûr de lui campé par Antonin Fadinard, Balthazar Balzan le cousin fortuné et cynique, royalement incarné par Loïc Riewer et Emile Carroi, le candide et nouveau converti joué par Lazare Herson-Macarel, tous sont soumis à une pression maximale pour faire gagner leur poulain. Naturellement car on connaît la chanson, l’éthique morale de ce commando politique se fait parfois gagner par les coups bas et les petits mensonges. Mais les autrices ne chargent par la mule, conservent leur humour incisif et c’est ce qui fait la force de leur spectacle joué par des comédiens irréprochables. Madeleine Chazelle, la femme du candidat, incarnée par la blonde et tonique Morgane Nairaud, se pose en gardienne du temple et de la fausse vérité. Et c’est bien une bataille de mots et de discours, pour susciter l’adhésion la plus intense, la plus religieuse, à laquelle on assiste ici, dans ce QG battu par toutes les tempêtes médiatiques et dont l’intégrité éthique est assurée par Jeanne Lombard (Marie Sambourg). L’homme providentiel de cette République, qui est la nôtre, doit être celui qui parle le mieux, même si son discours n’est construit que sur des chimères. 

Ces fantômes qui nous dérangent

©Simon-Gosselin

Pourtant, derrière la vitrine pimpante de ces technocrates en cravate qui agissent en cuisiniers de nos avenir, s’agitent les fantômes dérangeants de notre histoire. D’où sortent ces boites poussièreuses et les crânes qui s’en échappent un à un avec fureur ? Ce sont les âmes des Kanak, peuple colonisé depuis le 18°siècle, qui crient leur souffrance d’esclaves et rendent fou le futur président, qui se serait bien passé de cet héritage, lui qui souhaitait réécrire le roman national. Et la fable politique se mue soudain en film d’horreur façon Shining avec visions apocalyptiques et murs qui se fissurent. On ne peut ainsi réécrire le roman de notre histoire sans en payer les pots cassés, nous souffle le Birgit Ensemble avec un talent scénique reconnu. Même si on aurait souhaité que le scénario soit nourri de davantage de fond, notamment concernant l’exploitation de la crise des réfugiés climatiques et des conséquences politiques et écologiques que cela supposerait. Sans doute attendrons-nous la suite de cette saga.

Hélène Kuttner 




 

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